Clint Eastwood

Clint Eastwood, le vengeur démasqué
Dossier par Jean-Philippe Costes

N’en déplaise à ceux qui voient en lui le champion de la violence et de l’arbitraire, Clint Eastwood est le chantre de la Justice et de l’Equilibre. D’Un frisson dans la nuit à Gran Torino, toutes ses réalisations en ont administré la preuve.

Affubler Clint Eastwood d’un masque de vengeur sanguinaire, c’est méconnaître la nature d’un cinéaste qui a bâti toute son œuvre sur une notion universelle : l’équilibre. De ce concept, le réalisateur a tiré une vision

de la Justice qui peut certes paraître ambiguë mais qui, en définitive, ne saurait être réduite à une vendetta de bas étage.

La Justice selon Eastwood a ceci de déroutant qu’elle est à la fois classique et singulière. Elle est conventionnelle, dans la mesure où elle repose sur un principe hérité de la tradition biblique : « Il faut rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ». Cette maxime fondatrice implique que tout acte de Justice relève d’une Ethique, fondée sur l’équilibre entre la Dette et la Créance. Le système n’a rien de révolutionnaire. Néanmoins, de Pale Rider à L’échange en passant par Les pleins pouvoirs, Eastwood s’est distingué par sa volonté de l’appliquer au mépris des classes sociales. Mais le plus frappant est de

ce désir de restaurer les équilibres rompus dépasse le domaine du crime et concerne toutes les dimensions, tous les protagonistes de la Vie. Que fait le cinéaste dans des films tels que Créances de sang, Space cowboys, Mémoires de nos pères ou L’échange ? Il rend justice aux héros anonymes, aux plus âgés et aux femmes, c’est-à-dire, aux principales victimes de l’iniquité sociale.

Costes_ClintEastwood_LeslettresIwoJima.jpg

L’universalité de ce principe d’équilibre a pour corollaire une intransigeance absolue : quiconque prend une vie doit en répondre en mourant. Ce mode de règlement des litiges, calqué sur l’adage « Œil pour œil, dent pour dent », peut sembler barbare. Ce sentiment est d’autant plus légitime que dans les films d’Eastwood, l’exécution des méchants est

souvent source d’extase. Comment ne pas exulter en voyant Brendan Northcott, l’ogre de L’échange, expirer lentement au pied de la potence ?  Toutefois, la Loi du Talion, telle qu’elle est exaltée par le réalisateur, ne s’identifie pas à une vengeance bestiale. Malgré la violence qui l’accompagne, elle est constitutive d’une véritable Justice, dont la logique peut être ainsi résumée : l’harmonie du monde commande de rétablir, coûte que coûte, les équilibres indûment rompus par les hommes. Bien que primitif, ce système de compensation, fondé sur la symétrie des souffrances, est parfaitement rationnel. L’Anthropologie nous apprend de surcroît qu’il est une pierre angulaire de la Civilisation, en ce sens qu’il a été – et demeure, au sein de nombreuses peuplades – un élément essentiel à la préservation de la stabilité sociale.

Transcendance Versus Immanence
Ceci étant dit, deux questions restent en suspens. Pourquoi un homme adulé de ses contemporains privilégie-t-il une Justice expéditive ? Pourquoi choisit-il des références dont l’ancienneté et le caractère

Costes_ClintEastwood_MinuitJardinDuBienEtDuMal.jpg

mythique confinent à l’ésotérisme ? La réponse est aussi surprenante que fascinante : parce qu’il se défie de la Justice moderne et de sa prétention à faire plus qu’elle ne peut. Les attendus de ce jugement sont exposés dans le procès de Minuit dans le jardin du Bien et du Mal. Ainsi, considérant que les Avocats réécrivent l’Histoire au gré de leurs intérêts, considérant que les jurés sont humains et donc, faillibles, considérant enfin que la réalité est une notion relative, Eastwood déclare que la Justice humaine est faite pour dire le Droit et non, pour dire la Vérité. Ce vice congénital est symbolisé par la statue sur laquelle s’ouvre et se referme le film. Allégorie de l’Institution judiciaire (elle tient dans ses

mains des plateaux en équilibre), la jeune fille au visage minéral penche en effet la tête sur le côté. Il s’agit là d’un signe manifeste de désolation et d’impuissance. Cependant, cette posture a un second sens, qui prolonge ironiquement le premier : elle suggère que la Justice, en tant que valeur, finit toujours par triompher, mais que l’Homme n’est pour rien dans cet heureux épilogue.

Ennemi de l’immanence, Eastwood apparaît donc comme le défenseur d’une conception transcendante de la Justice. Cette inclination explique l’un des invariants de son œuvre : la correction des déséquilibres est souvent le fait d’anges exterminateurs ou de fantômes. Dans les deux cas, il s’agit d’êtres fabuleux, dont les capacités excèdent celles d’une Humanité présentée comme incapable de faire régner le Bien et l’ordre. Ce point de vue est certes contestable. Néanmoins, il certifie qu’Eastwood n’est pas un apôtre de l’arbitraire. Subséquemment, il nous invite à faire tomber, une fois pour toutes, le masque de vengeur que certains ont fait porter au cinéaste.

Article écrit par :
Jean-Philippe Costes

Acteur, réalisateur, compositeur et producteur de cinéma américain.
Né le 31 mai 1930 à San Francisco, Californie.

Devenu célèbre, il interprète de nombreux rôles, d’abord pour Universal, puis pour Warner Bros., notamment ceux de L’Inspecteur Harry, Pour une poignée de dollars, Et pour quelques dollars de plus et Le Bon, la Brute et le Truand. En 1968, il devient producteur avec la création de la société Malpaso et réalise son premier film en 1971, avec Un frisson dans la nuit. Aujourd’hui, avec plus de quatre-vingts films à son actif, parmi lesquels Impitoyable, Sur la route de Madison ou encore Mystic River et plus récemment Million Dollar Baby, Gran Torino et J. Edgar, Clint Eastwood figure parmi les cinéastes les plus connus au monde.
Eastwood a remporté entre autres quatre Oscars, cinq Golden Globes, trois Césars et la Palme d’honneur au Festival de Cannes en 2009.

Source Wikipedia
http://fr.wikipedia.org/wiki/Clint_Eastwood